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La Cour de cassation porte un sérieux coup aux plates-formes numériques en reconnaissant le statut de salarié à un livreur à vélo

Le 28 novembre 2018, la Cour de cassation s’est prononcée pour la toute première fois sur la qualification du contrat liant un livreur à vélo à une plate-forme numérique de mise en relation du type Uber Eats, Deliveroo, Foodora, etc. Sa décision devrait permettre à ce livreur, qui exerçait son activité comme travailleur indépendant, d’obtenir la requalification de la relation contractuelle l’unissant à la société Take Eat Easy en contrat de travail. En donnant la plus large diffusion à son arrêt, la Cour a entendu en faire une jurisprudence de principe.

Un livreur à vélo demande la requalification de son contrat de prestation de services en contrat de travail

Dans cette affaire, la société Take Eat Easy utilisait une plate-forme numérique et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo exerçant leur activité sous un statut d’indépendant.

Un coursier avait saisi les juges d’une demande de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail. La Cour d’appel avait rejeté sa demande.

L’affaire a finalement été soumise à la Cour de cassation, qui a été amenée à vérifier s’il existait ou non un lien de subordination entre le livreur et la plate-forme numérique.

Le lien de subordination, critère traditionnel du contrat de travail

L’un des critères essentiels du contrat de travail est l’existence d’un lien de subordination entre les parties. Depuis des années, la Cour de cassation martèle les mêmes principes sur ce sujet.

Elle juge que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (cass. soc.13 novembre 1996, n° 94-13187, BC V n° 386).

Les parties ne peuvent rien à cela : leur seule volonté ne peut soustraire un travailleur au statut social qui découle nécessairement des conditions d’accomplissement de son travail (cass. ass. plén. 4 mars 1983, nos 81-11647 et 81-15290, B. Ass. plén. n° 3).

Il en découle que l’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à la convention ou au contrat les unissant, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle (cass. soc. 17 avril 1991, n° 88-40121, BC V n° 200).

L’application à la relation entre le livreur et la plateforme

Lien de subordination. - Forte de cette jurisprudence, dont elle a rappelé ici la teneur, la Cour de cassation en a déduit, sur la base d’éléments objectifs, que le lien qui unissait le livreur de vélo à la plate-forme était un lien de subordination.

Elle fonde l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation sur deux éléments factuels ressortant des constats opérés par les juges du fond :

-un pouvoir de sanction de la plate-forme ;

-un système de géolocalisation permettant de connaître la position du coursier en temps réel.

Peu lui a importé que le coursier soit libre de déterminer lui-même les plages horaires au cours desquelles il souhaitait travailler, ou de n’en sélectionner aucune, s’il ne souhaitait pas travailler, considérations sur lesquelles la cour d’appel s’était de son côté appuyée pour refuser la requalification en contrat de travail.

Le mécanisme de « sanction » des coursiers. – La Cour de cassation relève l’existence d’un système de bonus et de malus évocateur du pouvoir de sanction que peut mobiliser un employeur.

La relation était basée sur un système de bonus (l’un en fonction du temps d’attente au restaurant, l’autre lié au dépassement de la moyenne kilométrique des coursiers) et de pénalités distribuées en cas de manquement du coursier à ses obligations contractuelles (ex. : incapacité de réparer une crevaison, refus de faire une livraison).

Si une pénalité ne portait à aucune conséquence, le cumul de deux pénalités entraînait néanmoins une perte de bonus, le cumul de trois entraînait la convocation du coursier et, enfin, le cumul de quatre pénalités conduisait à la fin de la relation comme cela s’est produit dans cette affaire pour le livreur.

Le pouvoir de géolocalisation. – La Cour de cassation relève que l’application était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus.

À ses yeux, cela signifie que le rôle de la plate-forme ne se limitait pas à la mise en relation du restaurateur, du client et du coursier.

Et à l’avenir ?

Cette affaire doit encore trouver sa conclusion judiciaire, puisque la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Le litige devra donc être à nouveau jugé par la cour d’appel de Paris.

En tout état de cause, cet arrêt de la Cour de cassation, qui marque certainement une date importante pour les contentieux en cours et à venir, met à mal l’économie de cette nouvelle forme de travail, basée sur le statut de non-salarié.

On notera que la Cour a entendu en faire un arrêt de principe, en lui donnant la plus large diffusion (arrêt estampillé FPPBRI) et en l’accompagnant d’une notice explicative. On soulignera que pour qu’il y ait requalification dans de futurs litiges, encore faudra-t-il que des éléments factuels caractérisent le lien de subordination, comme c’est le cas dans cette affaire.

Reste à savoir comment les plates-formes numériques vont, le cas échéant, tenter de s’adapter à cette décision.

De leur côté, les pouvoirs publics en resteront-ils à cette jurisprudence qui, si elle est la première en la matière, repose finalement sur la définition traditionnelle du contrat de travail ?

Enfin, on notera que le projet de loi d’orientation des mobilités, présenté en Conseil des ministres le 26 novembre 2018, reprend, en son article 20, les dispositions relatives aux plates-formes de mise en relation par voie électrique du projet de loi Avenir professionnel, que le Conseil constitutionnel avait annulées comme « cavalier législatif ».

Pour mémoire, celles-ci visent à permettre aux plates-formes d’élaborer une charte de « responsabilité sociale », pour améliorer le statut des travailleurs concernés sans pour autant les faire basculer dans le régime du salariat.

Hasard des calendriers, mais c’est donc deux jours après la présentation du projet de loi que la Cour de cassation a rendu son arrêt de principe.

Cass. soc. 28 novembre 2018, n° 17-20079 FPPBRI ; https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/1737_28_40778.html